L’audiodescription à la RTBF : Interview de Carine LORENT, audiodescriptrice chez Audioscenic ‒ La Libre Belgique

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L’AUDIODESCRIPTION à la RTBF

Interview  de Carine LORENT, audiodescriptrice chez Audioscenic, 

par Aurélie Moreau (La Libre Belgique, suppl. Quid, sa-di 6-7 mai 2017)

 

 

"Sans quotas, on n'y arrivera pas"

 

On sait que la RTBF oppose au secteur des arguments budgétaires et techniques pour expliquer la pauvreté de son offre de programmes audio-décrits. Mais saviez-vous que le procédé coûte, à peine, 4.000 euros pour un long métrage ?

 

L'audiodescription consiste à décrire les éléments visuels d'une oeuvre, sa puissance émotionnelle, son esthétique, sa poésie. Elle s'adresse aux personnes atteintes d'une déficience visuelle mais aussi aux personnes qui ont des difficultés de compréhension, aux personnes illettrées, aux primo-arrivants, aux seniors. Elle nécessite par ailleurs, un véritable savoir-faire (*).

 

Selon "Les amis des aveugles", il n'existe aucunes données épidémiologiques en Belgique. Toutefois, l'association estime (en extrapolant les données françaises à la Belgique) que plus de 11.000 Belges souffriraient de cécité, 26.000 de malvoyance sévère et 172.000 de malvoyance moyenne.

 

Carine Lorent, audiodescriptrice pour l'ASBL "Audioscenic", appelle la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et la RTBF à mieux considérer les "préoccupations du public" et de "la société civile".

 

Quelles sont vos attentes par rapport au nouveau contrat de gestion de la RTBF ?

 

Le problème de la RTBF c'est qu'il n'y a quasiment aucun contenu audiodécrit. Même les contenus audiodécrits en France, rachetés par la RTBF, ne sont pas forcément disponibles à l'audiodescription une fois diffusés sur le service public. Et quand la RTBF propose de l'audiodescription, les gens ne sont pas prévenus.

 

Il y a eu des exceptions ?

 

Oui, je pense notamment à "La Trêve", audiodécrite par les PAF (les professionnels de l'audiodescription francophone, NdlR.). Mais ils ne feront pas la 2e saison.

 

Pourquoi ? Pour des raisons budgétaires ?

 

Probablement, oui. On a eu une réunion avec des responsables de la RTBF, il y a deux ans. Ils nous ont rétorqué qu'il s'agissait essentiellement d'une question de budget. S'ils ont une rallonge financière pour produire une série ou un téléfilm, ils préfèrent l'utiliser pour autre chose. Or, en France, l'audiodescription coûte 25 euros la minute. C'est loin d'être insurmontable. La seule chose qu'on demande, en priorité, c'est que le cahier des charges des productions soutenues par la RTBF et la FWB intègre l'audiodescription. La RTBF évoque aussi des problèmes techniques mais ça fait belle lurette que c'est réglé.

 

Peut-il s'agir d'un nouveau débouché économique ?

 

Oui, car ça nécessite une formation très pointue. Il pourrait s'agir d'une nouvelle niche d'emplois pour les jeunes comédiens. [?] On a fait le choix de fonctionner bénévolement. On travaille donc avec des théâtres professionnels sur base volontaire. Ils sont ravis.

 

Vous voudriez mettre en place le même type de synergies avec la RTBF ?

 

Oui, bien sûr. Toutes les associations ont essayé de toucher, un jour, la RTBF. Ces initiatives dispersées, il faut bien l'avouer, n'ont pas mené à des résultats. On a donc décidé de se réunir pour agir. D'où l'origine de cette plateforme destinée à devenir un groupe de pression, un lobby. Je pense qu'il y a aussi beaucoup de méconnaissance autour de l'audiodescription. Les sous-titres et la langue des signes pour les sourds, tout le monde connaît. L'audiodescription, c'est plus compliqué.

 

Dans sa note d'intention, le ministre des Médias, Jean-Claude Marcourt (PS), a consacré deux phrases à la déficience sensorielle (et non visuelle). C'est suffisant ?

 

Non. Si elle décide de tout sous-titrer pour les sourds, la RTBF aura rempli sa mission. Et rien n'aura été fait pour les personnes aveugles ou malvoyantes. En plus ce n'est pas chiffré, donc c'est largement insuffisant. S'ils en sont toujours à ces petites phrases, on n'en sortira jamais. Tant qu'on n'aura pas des quotas, et qu'on ne fera pas la différence entre les handicaps sensoriels, on n'y arrivera pas.

 

Vous évoquez également l'accessibilité des programmes sur les plateformes numériques?

 

De plus en plus de programmes sont proposés là aussi. C'est un problème qui va devenir de plus en plus récurrent.

 

Et concernant les films en version originale (VO) ? L'audiodescription est-elle possible ?

 

Oui, généralement on audiodécrit des films doublés mais, en festival par exemple, on respecte la VO. C'est évidemment plus compliqué, mais c'est tout à fait possible.

 

Un manque de bonne volonté.

 

Les Professionnels de l'audiodescription francophone (PAF) ont audiodécrit les 10 premiers épisodes de "La Trêve" pour un montant de 30.000 euros (la série, hors audiodescription a coûté 2,5 millions d'euros). "C'est un peu plus cher que la moyenne parce que les séries exigent plus de travail et de suivi, indique Odile Ramelot, audiodescriptrice et membre fondateur des PAF. C'est l'association elle-même qui a recherché les budgets nécessaires." Les PAF audiodécriront également la prochaine série RTBF : "eLegal".

 

S'appuyer sur le tissu associatif.

 

Le CSA réalise par ailleurs un monitoring dont les résultats devraient être disponibles en juin. "Il est clair qu'il ne s'agit pas seulement d'une question financière ou technique, explique Noël Theben, responsable de l'unité TV au CSA. Cela nécessite avant tout de la bonne volonté. La France fait déjà une bonne partie du travail. Il suffirait déjà d'acheter la version audiodécrite pour quelques euros supplémentaires. Or, que voit-on aujourd'hui ? Des Belges traversent la frontière pour acheter des DVD chez Mediamarkt et les revendent chez nous, sur le marché noir."

 

Le CSA a quant à lui estimé le coût de l'audiodescription à 4.000 euros par long métrage en Belgique. Il rappelle également qu'une grève, dans le secteur du doublage en France, avait permis aux sociétés belges de délester la France d'importantes parts de marché. "Il existe aujourd'hui tout un tissu associatif belge important sur lequel la RTBF n'a plus qu'à se reposer."

 

Au.M.

 

> (*) Une analyse du film et une écriture de l'audiodescription est

réalisée par un duo d'auteurs avec la supervision de personnes déficientes visuelles. L'enregistrement est ensuite effectué par des professionnels de la voix, supervisés par un directeur artistique, avant de procéder au mixage du son, aux travaux techniques et à la mise sur support.

 

L'ensemble des recommandations est disponible à l'adresse : 

http://bit.ly/2qCeOYg 

 

par Aurélie Moreau

La Libre Belgique